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23 novembre 2019

Contribution de Jean-Pierre Roche à une rencontre de Religieuses en M.O.(Sept 2019)

 

FEDEAR / RIF 2019

NOS COMMUNAUTES, MAISONS ET ECOLES DE COMMUNION ?

Comme vous, j’ai été frappé par le souffle de l’intervention d’Elena Lasida il y a un an, son invitation à créer du nouveau pour sauver le souffle qui vous anime. Pour aller plus loin, vous avez donc retenu la troisième piste, celle de la communion : « Comment nos communautés peuvent être aujourd’hui, dans les réalités de notre monde, une maison et une école de communion ».

Dans une première partie, je reprendrais le « aujourd’hui, dans les réalités de notre monde ». Dans une seconde partie, je voudrais travailler avec vous l’étymologie et le sens des mots « maison », « école » et « communion ». Enfin, dans une troisième partie, j’essayerai de dégager à mon tour des pistes pour inventer du nouveau en matière de communion.

  1. I.               DANS LE MONDE D’AUJOURD’HUI

Pas une intervention, pas un topo, pas une formation qui ne commence par situer le contexte du monde dans lequel nous vivons : un monde en mutation accélérée (Eléna), un monde sécularisé, un monde fondé sur l’autonomie des individus, un monde incertain… Sans prétendre faire une grande synthèse de ce qu’on peut en dire, je préfère vous partager deux lectures récentes qui m’ont passionné et éclairé. Elles utilisent deux images de la société très suggestives pour notre sujet, celle de l’archipel et celle du liquide.

  1. 1.    L’archipel français, de Jérôme Fourquet  (au Seuil).

L’ouvrage fait 380 pages et porte un sous-titre « Naissance d’une nation multiple et divisée » avec un bandeau de l’éditeur « où allons-nous ? ». Il analyse les changements de la société française depuis les années 80, avec les outils de la sociologie politique et religieuse, tels que : cartes électorales, graphiques, évolution des prénoms donnés aux nouveau-nés etc.

Tout part de « l’effondrement de la matrice catholique », repérée comme étant le ciment principal du pays, ce qui le tenait ensemble. La disparition du prénom Marie est un signe longuement analysé… Cet effondrement explique un « basculement anthropologique » qu’on repère facilement avec le changement des structures familiales (on passe de la famille aux familles diversifiées), la banalisation du divorce, de l’IVG, de l’homosexualité, un autre rapport au corps (incinération)… Les catholiques sont devenus une île minoritaire dans l’archipel français.

L’auteur décrit ce qu’il appelle une « fragmentation » de la société française, avec la sécession des élites, l’affranchissement culturel et idéologique des catégories populaires (illustré par le choix de prénoms anglo-saxons, tatouage, vote FN…), le poids démographique croissant de l’immigration arabo-musulmane et sa forte singularité culturelle et religieuse.

Les oppositions ou clivages s’approfondissent à chaque secousse sismique. L’auteur en analyse trois : l’année 83 avec la marche des beurs et l’émergence du FN aux Européennes, l’année 2005 avec une double fracture : la victoire du NON au référendum sur la constitution européenne et la révolte des banlieues, l’année 2015 qui révèle au cœur des attentas que tout le monde n’est pas Charlie. Et cela débouche sur le tremblement de terre des Présidentielles de 2017, victoire des gagnants-ouverts sur les perdants-fermés, qui est à l’origine de la révolte des « gilets jaunes » face à un « bloc libéral élitaire ».

Je retiens deux points pour notre recherche :

-       L’archipélisation de notre société appelle à construire des ponts ou des passerelles. Elle invite à vivre la communion en termes de ponts ou de passerelles pour faire du lien entre des mondes qui s’ignorent de plus en plus. D’où un appel à vivre une communion qui ne soit pas communautariste mais qui soit inter- : interculturelle, interreligieuse, intergénérationnelle, internationale… ce que sont souvent vos communautés !

-       La fragmentation de notre société fait penser à une bombe à fragmentation qui cause des blessures multiples. Elle appelle à être attentif à toutes les souffrances qui s’expriment à travers des comportements identitaires de repli. D’où un appel à vivre l’Eglise comme un « hôpital de campagne » selon l’expression du pape François.

 

  1. 2.    L’Eglise liquide dans une société liquide, selon Arnaud Join-Lambert.

Arnaud JOIN LAMBERT est un professeur d’ecclésiologie à l’Université de Louvain qui a mis en lumière le concept d’Eglise liquide dans un article des Etudes (Vers une Eglise liquide, Les Etudes2015/2). Il emprunte ce concept « liquide » au sociologue Zygmunt BAUMAN, auteur d’un livre sur « la société liquide » en 2000.

« Une société liquide se caractérise par le primat des relations, de la communication, de la logique de réseau, par différence avec une société solide qui privilégie les institutions et la stabilité sociogéographique. »

Une société liquide est une société où tout devient instable, où il n’y a plus de certitudes, ni de centre, ni de point fixe. Toutes les institutions sont en crise ou remise en question, ce qui fragilise les individus.

L’Eglise n’est pas qu’une institution, bien sûr, mais elle a un pôle institutionnel très fort dont la paroisse est la figure privilégiée. Tout baptisé dépend d’une paroisse et a donc un curé ! Or, non seulement ce qu’on a appelé la « civilisation paroissiale » a disparu, mais toutes les tentatives pour renouveler la paroisse ou créer de nouvelles paroisses semblent avoir échoué.

D’où l’idée de cesser de vouloir faire revenir les gens dans la paroisse et d’inventer d’autres lieux pour ceux qui, de toutes façons, ne viendront jamais dans les paroisses. Notre auteur précise :

« Il s’agit de multiplier de tels lieux qui, sans prétendre tout couvrir, offrirait une rencontre autour d’une dimension de l’existence, une hospitalité, une convivialité ou un soutien. »

Join-Lambert cite trois exemples en France qui sont souvent appelés « maison d’Eglise » : Notre-Dame de Pentecôte sur le Parvis de la Défense, Saint-Joseph à Grenoble pour la pastorale des jeunes, l’accueil Marthe-et-Marie dans le nouveau quartier Humanicité à Lomme, près de Lille. Mais il évoque quantité d’exemples étrangers autour d’un café, d’une bibliothèque, d’un centre commercial… pour rejoindre le plus grand nombre. Il y a aussi des églises « déparoissialisées » pour répondre à tel ou tel besoin.

« Appliquée à l’Eglise, la liquidité traduit plusieurs déplacements spécifiques, dont une vie chrétienne basée sur l’activité spirituelle et non sur des structures, un décentrement de l’office dominical, une part croissante des commençants ou des recommençants par rapport aux fidèles de toujours, et le passage limité dans le temps au sein d’un église précise. »

Si j’articule avec « l’archipel français », qui décrivait le catholicisme comme une île parmi d’autres au point de former un « réduit catholique », on comprend bien l’enjeu missionnaire d’être « une Eglise en sortie », de sortir de l’entre-soi, de sortir de notre île, pour rejoindre les gens là où ils sont, comme le dit Elena Lasida.

La présence des ordres religieux dans l’Eglise, depuis les débuts du monachisme, a introduit du jeu dans l’institution ecclésiale qui était d’abord territoriale. Ils ont inventé d’autres lieux que les paroisses pour vivre et annoncer l’Evangile dans la société : des couvents et des monastères, mais aussi des hôpitaux, des écoles et des universités ! Avant d’être institutionnalisés (rendus solides) comme « ordres religieux », c’était des mouvements qui traversaient les Eglises locales, tout comme le feront les mouvements apostoliques ou les communautés nouvelles. C’est dire le lien qu’il y a entre nos questions et l’Esprit Saint qui souffle où il veut.

 

  1. II.              MAISON, ECOLE, COMMUNION.

Le vocabulaire n’est pas neutre. Pour répondre à la question : comment nos communautés sont des maisons et des écoles de communion ? – il faut s’entendre sur les mots.

 

 

  1. 1.    Maison :

+ Le mot vient du latin mansio = demeure, manere = rester, demeurer. Voilà qui m’évoque tout de suite une harmonique évangélique : « Demeurez en moi comme je demeure en vous » (Jn 15,4) dans le texte sur la Vigne. C’est une image forte de la communion au Christ.

+ Il désigne un bâtiment, une habitation, un logement, un foyer. On pense tout de suite à la famille, à la maison familiale. La maison, c’est un « chez nous », on se sent chez soi.

+ Mais en dehors des maisons où vivent des familles, notre société a mis en place des maisons collectives : les maisons de la jeunesse et de la culture (MJC), la maison des syndicats, les maisons pour tous, la maison de la justice. La « maison commune » désigne à la fois la maison communale, la Mairie, et la planète (Laudato si), concept qui est directement lié à une seule famille humaine : « Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un développement durable et intégral » (Laudato si,13) C’est un autre aspect de la communion sur lequel nous reviendrons.

+ Chez les chrétiens, il y a bien sûr la « maison de Dieu » qui s’appelle l’église, c'est-à-dire qui porte le même nom que celui de la communauté ecclésiale, même si c’est avec une minuscule. Et il y a bien sûr « la Maison du Père » qui désigne l’au-delà de nos vies, Dieu lui-même mais comme pouvant nous accueillir chez lui : « qui habitera dans ta maison, Seigneur ? » C’est le terme du pèlerinage.

+ Je voudrais évoquer ces différents lieux d’Eglise, ces nouveaux lieux d’Eglise que la mission invente et qui portent le nom de maison : il y a ces maisons d’Eglise, comme Notre-Dame de Pentecôte, mais je pense à mon diocèse où on développe des « maisons d’Evangile » (qui se font à la maison et non à la paroisse), où on a créé « la maison des serviteurs de la Parole » où des jeunes peuvent vivre en communauté pendant un an pour réfléchir à leur projet de vie, où on est en train d’aménager la Maison Madeleine Delbrel, là où elle a vécu à Ivry. Ce sont tous des lieux d’accueil, des lieux de parole – des lieux où l’on écoute la Parole de Dieu et où on s’écoute les uns les autres –, des lieux de prière.

+ Enfin, il me semble que si on parle de maison en termes de mission, il faut mettre en avant l’idée d’hospitalité. Quand Jésus envoie les Douze en mission (Lc 9,1-6), il leur dit : « Quand vous serez reçu dans une maison, restez-y… et si les gens ne vous accueillent pas, sortez de la ville et secouez la poussière de vos pieds ! » Vivre la mission, c’est dépendre de l’accueil des autres autant que les accueillir. On sait que le terme d’hôte désigne à la fois celui qui accueille et celui qui est accueilli. Jouin-Lambert remarque : « L’analogie de l’Eglise comme une maison d’hôtes aide à percevoir que rien n’est possible sans ces derniers », c’est-à-dire sans ceux que l’on accueille puisque c’est leur maison ! « L’hospitalité, c’est l’improvisation » (Derrida).

  1. Ecole.

J’avoue que je regrette un peu que la convocation ait précisé, à propos des carrefours de cette après-midi, « école de communion au sens de témoignage »… Il me semble que c’est réducteur.

+ Ecole évoque pour moi le fait de « se mettre à l’école de », c’est-à-dire, pour des religieux, deux aspects importants : la vocation de disciple qui vit la suite du Christ, qui est « maître de vie » mais aussi l’appartenance à une famille religieuse : à l’école d’Ignace ou de François, à l’école de Dominique ou du Carmel, à l’école d’Antoine Chevrier ou du Père de Foucauld. C’est une spiritualité, mais c’est aussi une vie, un style de vie, une vie évangélique et pas seulement spirituelle.

+ Ecole évoque pour moi un lieu d’apprentissage, un lieu où l’on apprend ensemble. Cela veut dire que la communion, cela s’apprend. C’est bien sûr tout le sens du noviciat, mais justement, est-ce que, dans nos communautés, on continue d’apprendre ensemble à vivre en communion ? Ou est-ce qu’on est sensé savoir ?

+ Mais ce n’est pas n’importe quelle école, ce n’est pas une école où l’on prend des cours, pour apprendre un savoir. C’est plutôt un atelier d’apprentissage où l’on apprend à vivre ensemble, à s’accepter à la fois semblables et différents, à donner et à recevoir, à dialoguer, – bref, où on apprend à devenir de plus en plus des êtres de communion. Un savoir-être.

  1. 3.    Communion.

+ Un terme chrétien. Maison et école, ce sont des termes de la vie quotidienne et profane : on rentre à la maison, on va à l’école. Communion ? On fait sa communion. C’est un terme religieux qui tranche dans une conversation. En terme profane, on emploiera d’autres mots : solidarité, fraternité, proximité, sympathie, amitié…

+ Trois étymologies :

-       Communion peut venir de commun : ce serait la mise en commun  des biens, ou ce que nous avons en commun (des biens mais aussi des idées, des convictions…). Evidemment, on pense à communisme !

-       Communion peut venir de com-union, c’est-à-dire union avec d’autres. Ce serait l’être-avec, expression si importante pour les chrétiens en général mais pour les religieux/ses en particulier parce qu’elle désigne à la fois le lien avec les gens et le lien avec Dieu, …plus que le lien entre-eux.

-       Communion peut venir de com-munis, c’est-à-dire un office commun. Le terme serait effectivement d’origine liturgique mais pour désigner une fonction commune comme par exemple le presbyterium. Auquel cas, l’office commun pourrait être la mission commune.

Si le premier sens renvoie bien à la communauté, les deux autres ouvrent cette communauté à plus large qu’elle-même.

+ L’Eglise comme communion dans les Actes des Apôtres. Puisque le texte est religieux, on n’est pas surpris qu’il ait sa source dans le Nouveau Testament à travers le grec koinonia (pas d’équivalent en hébreu et donc pratiquement absent de l’AT). Le mot revient 19 fois dans le NT : jamais dans l’Evangile et 13 fois chez St Paul.

Les Actes des Apôtres décrivent la première communauté chrétienne à travers trois « sommaires » : Ac 2, 42-47 ; 4, 32 ; 5, 12-13. C’est le premier d’entre eux qui parle de communion : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (2,42).

Dans son ouvrage « L’ecclésiologie de communion » (Cerf, 2000), Jean RIGAL décrit les trois composantes essentielles de la communion ecclésiale que les premiers chrétiens sont exhortés à vivre : « une communion dans la foi, une communion dans le culte et une communion dans la vie fraternelle ». On peut employer le terme communion pour désigner l’ensemble des trois ou le réserver (comme le fait l’auteur des Actes) à la troisième dimension de la vie ecclésiale. On retrouve les trois registres de cette vie ecclésiale : vivre, croire, célébrer Jésus-Christ. Une autre trilogie, reprise par les évêques de France (« Lettre aux catholiques de France », 1996) expriment les trois pôles de la mission de l’Eglise non plus avec des verbes mais avec des substantifs : marturia (témoignage), diaconia (service), leiturgia (liturgie).

+ L’Eglise communion. Dès le lendemain du Concile, le 8 juin 1966, Paul VI s’adressait ainsi aux chrétiens : « L’Eglise est une communion (…) Union au Christ et dans le Christ ; et union entre les chrétiens dans l’Eglise. » Vingt ans après le Concile, le Synode de 1985 en fait une relecture : « L’ecclésiologie de communion est l’idée centrale et fondamentale des documents du Concile. (…) Que signifie ce mot complexe de communion ? Il s’agit fondamentalement de la communion avec Dieu par l’intermédiaire de Jésus-Christ, dans l’Esprit-Saint. » L’Eglise communion trouve son origine dans le Dieu révélé par Jésus comme Trinité : Dieu est communion qui nous appelle à participer à sa vie. L’Esprit qui unit Jésus et son Père, est aussi celui qui nous est donné pour vivre en communion avec lui et entre nous.

+ La communion est inséparable de la mission. Si le Christ nous rassemble, c’est pour nous envoyer. La mission de l’Eglise prolonge la mission de Jésus et de l’Esprit. « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie ». La communion ecclésiale n’a pas son but en elle-même, elle est au service de la communion de toute l’humanité en Dieu. C’est ce que le Concile exprima à travers le concept de l’Eglise comme sacrement : « L’Eglise (est) dans le Christ, en quelque sorte, le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Lumen gentium, 1). Autrement dit, l’Eglise est une communion qui trouve son origine en Dieu-communion et qui est au service de la communion de toute l’humanité en Dieu.  Jean-Paul II, dans l’exhortation apostolique « Les fidèles laïcs » décrit ce lien entre communion et mission dans ces termes : « La communion et la mission sont profondément unies entre elles, elles se compénètrent et s’impliquent mutuellement, au point que la communion représente la source et tout à la fois le fruit de la mission : la communion est missionnaire et la mission est pour la communion. » (Christifideles, 32)

+ Les ambigüités de la communion. J’en vois au moins quatre.

-       1. L’Eglise-club : on est bien sur notre île, on est bien entre soi, on essaye d’être une communauté vivante, c’est déjà pas mal ! Les autres ? Nous sommes prêts à les accueillir, mais ils ne viennent pas, on ne va pas les forcer… C’est l’oubli de la mission qui n’est pas prosélytisme, mais ouverture et dialogue. C’est le risque du communautarisme au sens d’un repli identitaire.

 

-       2. L’uniformité : L’unité de l’Eglise est un bien précieux mais l’Eglise n’est pas seulement une, elle est aussi appelée à être « catholique », ouverte à tous et enracinée dans toutes les cultures, ce qui inclut une grande diversité. La communion est justement une unité dans la diversité. Mais dans la tradition catholique, le pôle unité a été fortement renforcé autour de la papauté. Le pape François appelle à une Eglise plus synodale, c’est-à-dire moins centralisée et moins monarchique à tous les niveaux. Dans cette Eglise, la vie religieuse renforce le pôle communautaire.

 

-       3. La démobilisation. Dans la société telle qu’elle est, l’insistance exclusive sur la communion entraine une certaine désertion des luttes nécessaires pour la justice sociale et pour la planète. « Lutter, c’est aimer » disait l’ACO, tellement aimer semblait vouloir dire ne pas se battre.

 

-       4. Communion fraternelle ou service de la fraternité ? A mettre l’accent sur la communion fraternelle, on risque d’oublier la dimension diaconale de la vie chrétienne. La communion fraternelle risque toujours d’être perçue en interne alors que le service de la fraternité englobe l’interne et l’externe, il est service des plus petits pour que la fraternité règne plus dans la société et pas seulement dans l’Eglise.

 

  1. III.            DES MAISONS ET DES ECOLES DE COMMUNION.

A la lumière de tout ce que je viens de vous dire, j’essaye maintenant de donner des éléments de réponses à la question posée, et je le ferai en posant des questions.

  • Est-ce vos communautés religieuses qui peuvent être maisons et écoles de communion ? Ou es-ce que votre vie communautaire vous habilite pour créer avec d’autres des lieux nouveaux qui soient des maisons et des écoles de communion ?

Si je relis le texte d’Elena Lasida, elle dit : « L’Eglise devrait être une maison et école de communion » C’est sa 3° piste et elle me semble éclairée par les deux premières, à savoir l’Eglise en sortie au sens de sortir de l’entre-nous pour aller ailleurs, là où vivent les gens, et l’Eglise qui se fait conversation parce qu’elle a quelque chose à recevoir des autres. D’ailleurs, s’agissant d’être une maison et école de communion, non seulement Elena ne parle pas de vos communautés, mais elle explicite sa pensée en disant : « notre vocation, c’est faire que chaque être vivant sur notre terre puisse se sentir chez lui. » Et elle ajoute : « comment être des acteurs de lien ? ».

  1. Si nous partons de vos communautés :

 

-       Il s’agirait alors de vérifier si vos communautés sont des maisons et des écoles de communion. Il me semble que c’est la question que vous vouliez réfléchir aujourd’hui (cf. les carrefours). Mais alors, on peut se demander : maisons et écoles de communion pour qui ? Je crois comprendre que vous avez en tête : maison de communion pour nous et école de communion pour les autres.

-       Dans cette hypothèse, il faudrait donc vérifier si vos communautés sont fidèles au programme des Actes, c’est-à-dire si elles sont des communions de foi, des communions de prière et des communions fraternelles. Cela vous amènerait à vous interroger sur la place de la Parole de Dieu, la place de l’Eucharistie et de la prière communautaire, la place de la révision de vie et du partage des biens, dans votre vie communautaire.

-       Toujours dans cette hypothèse, pour que ces maisons deviennent écoles de communion pour d’autres, il faudrait s’interroger sur l’hospitalité vécue dans vos communautés. Quelles sont les personnes qui sont de fait accueillies dans vos communautés pour y faire une expérience de communion, un peu comme une équipe d’ACO organise de temps en temps une « rencontre élargie » pour permettre à des copains de faire un peu l’expérience de la révision de vie. C’est la démarche de l’invitation et du « venez et voyez ».

Mais cela signifie que c’est à nous d’apprendre la communion aux autres… Il me semble que le topo d’Eléna Lasida critiquait cette prétention que nous aurions à apprendre aux autres. A propos de la communion, elle dit : « Je n’aime pas le mot « expert ». En tant que chrétien on n’est pas appelé à être expert. On s’est considéré trop longtemps comme des experts, porteurs de la bonne nouvelle et on a été donneurs de leçons à d’autres. »

Il me semble que, quand elle parle de votre savoir-être, comme religieux, elle pense à votre manière d’être artisans de communion dans les différents lieux où vous êtes avec d’autres, non pas quand vous êtes en communauté, mais quand vous êtes « en sortie ». Bien sûr, c’est votre vie communautaire qui vous fait grandir dans un savoir-être artisans de communion dans la société. En ce sens, vos communautés sont école de communion pour vous. Mais pour les autres ?

 

 

  1. Si nous partons des autres :

 

-       Le point commun entre Elena Lasida et Arnaud Jouin-Lambert, c’est le constat qu’il faut inventer du nouveau parce qu’on s’épuise à vouloir faire venir les gens « chez nous ». Je cite :

  • Elena Lasida : On fait tout son possible pour essayer de faire venir des gens à nos mouvements, à nos associations, à nos congrégations, à nos groupes, à nos églises, à nos messes, et on investit beaucoup dans la communication, dans les sites internet, on essaye de se moderniser, de prendre des nouveaux moyens de communication, on fait plein de choses pour essayer de faire venir les gens chez nous. Il faut constater que ça ne marche pas. On peut continuer à le faire, mais ça ne marche pas. Il est venu le moment où il faut inventer du nouveau.
  • Arnaud Join-Lambert : En ne faisant que répondre aux besoins religieux de certains, les paroisses solides ignorent ou négligent de facto la soif spirituelle du plus grand nombre. Les réorganisations actuelles des paroisses ne parviennent pas à toucher de nouvelles personnes hormis quelques-unes (…) Il est urgent de réformer lorsque l’Eglise locale commence à ressembler à un club. Cette Eglise-club est une réponse à la question terriblement réaliste posée par Ward (dans son ouvrage Liquid church) : pourquoi si peu de gens voient-ils l’Eglise comme un lieu où trouver ce qu’ils cherchent ?

-       Si nos communautés sont des lieux où nous vivons et apprenons à être artisans de communion, c’est pour être artisans de communion ailleurs, dans la société, là où nous sommes présents par nos nombreux engagements. Je pense aux deux communautés dont j’accompagne la révision de vie, qui me semble une belle école de communion. Dans l’une, elles vivent au milieu d’autres dans un foyer-logement : c’est là qu’il s’agit de vivre et d’apprendre la communion, dans les rapports entre les résidents, avec la directrice, avec le Conseil de vie sociale etc. Dans l’autre, ce service de la communion se vit à l’UNAFAM avec les parents de personnes malades psychiques ou au GAS avec les migrants. Il me semble que ce sont ces lieux là qui sont appelés à être maison et école de communion.

-       Dans mon diocèse, la pastorale des quartiers populaires multiplie des lieux différents qui peuvent être des maisons et écoles de communion. Je pense aux fraternités qu’on cherche à mettre en place à partir de la Parole de Dieu (les Maisons d’Evangile), ou à partir de l’entraide, ou à partir de la prière. Je pense aux initiatives en direction des mamans seules qui sont elles aussi diverses, en réponse à leurs besoins. Mais à côté des fraternités initiées par des chrétiens, il y a le service de la fraternité de groupe auxquels les chrétiens sont présents : telle amicale de locataire, telle association comme Femmes de tous pays, etc.

 

-       Arnaud Jouin-Lambert a écrit un nouvel article dans Les Etudes (2019/3) sur « Les nouveaux lieux ecclésiaux pour régénérer l’Eglise en Europe ». L’idée, c’est que c’est « le décentrement des paroisses » qui devrait régénérer l’Eglise dans nos pays, c’est-à-dire des lieux non-paroissiaux accueillant à tous, et pas seulement au petit reste. Il s’agit de prendre au sérieux l’appel de François (dans La joie de l’Evangile, n°25)  à vivre une réelle « conversion pastorale et missionnaire qui ne peut laisser les choses comme elles sont ».

 

-       L’auteur plaide donc pour d’autres lieux qui pourraient être des maisons et écoles de communion : « A côté de la paroisse sont appelés à prendre leur place d’autres lieux ou communautés proposant une partie du message chrétien et de la vie chrétienne (pas le tout), non plus pour tous mais pour quelques-uns qui y trouveraient leur lieu pour un temps de leur vie. » Cela m’a fait penser aux groupes de chrétiens divorcés qui existent pour permettre à des personnes qui traversent cette épreuve de se reconstruire et de se réconcilier avec leur passé. Il existe la même chose pour les mamans solos ou pour les personnes fragiles psychiquement mais stabilisés. Mais peut-être faudrait-il davantage de visibilité sociale. Il s’agit d’ « espaces hospitaliers » où l’Eglise se fait « hôpital de campagne » dans les « périphéries existentielles », selon les expressions de François. A ces lieux mettant en œuvre la diaconie de l’Eglise peuvent s’ajouter d’autres lieux pour répondre aux besoins spirituels des personnes (accompagnement, approfondissement, prière). Si on dégage des personnes et des lieux devenus disponibles, des chrétiens mais aussi des congrégations peuvent faire preuve de beaucoup de créativité. C’est justement ce que le pape François demande : « J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés ». (Joie de l’Evangile, n°33).

Comme vous le voyez, j’ai déplacé la question. Bien sûr, nos communautés sont des « maisons et des écoles de communion » pour nous, mais ne sommes-nous pas invités à inventer d’autres lieux ou à développer d’autres lieux qui rejoignent les besoins nombreux de nos contemporains, des lieux qui soient précisément des maisons et des écoles de communion ouverts à tous ?

Jean-Pierre Roche,

27 septembre 2019

 

Topo_JPR__Maisons_et_e_coles_de_communion

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