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24 août 2019

Jubilé pour 50 ans de ministère en Mission Ouvrière dans le 94, par Jean-Pierre ROCHE

EVANGILE : La brebis perdue et retrouvée (Lc 15, 3-7)

En ces temps-là, Jésus leur dit cette parabole : « Si l'un de vous a cent brebis et qu'il en perd une, n'abandonne-t-il pas les 99 autres dans le désert pour aller chercher celle qui est perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve ? Quand il l'a retrouvée, il la prend sur ses épaules, tout joyeux, et, de retour chez lui, il rassemble ses amis et ses voisins pour leur dire :  "Réjouissez-vous avec moi, car j'ai retrouvé ma brebis, celle qui était perdue !"Je vous le dis : C'est ainsi qu'il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit,  plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de conversion. »

L'AMOUR PASTORAL

C'est l'évangile d'aujourd'hui, il ne pouvait pas mieux tomber. Notez bien que c'est une parabole : Jésus ne nous traite pas de moutons ! Mais il décrit en image une réalité que j'ai essayé de vivre depuis 50 ans : « l'amour pastoral », l'amour du pasteur pour chacune de ses brebis. Et cet amour-là, on ne peut le vivre que si on en a soi-même bénéficié.

Autrement dit, avant d'être pasteur, je suis cette brebis paumée, qui ne sait plus où aller, qui a perdu son chemin et qui se demande comment avancer. C'est un texte que je trouve très moderne : il dit que chacun de nous est unique et plus important que le troupeau ; mais il dit aussi que chaque individu est de plus en plus livré à lui-même pour inventer son chemin et si, comme la brebis perdue de l'Évangile, il n'est plus en relation avec les autres, il est vraiment perdu. Dans le monde ouvrier et populaire où j'ai été envoyé, j'ai découvert que la pire souffrance, c'est celle d'être oublié, méprisé, transparent, invisible... comme si on n'existait pas, comme si on ne comptait pas.

La dernière fois que j'ai vécu l'expérience d'être la brebis perdue, c'est au mois de mars dernier, la veille du mercredi des cendres. Accablé, consterné, abattu, révolté par ce qui se révélait de la vie de mon Église, je n'avais plus envie de faire la fête et je l'ai fait savoir à bon nombre d'entre vous. J'ai alors reçu plus de 70 messages de mes amis qui souffraient comme moi, qui me comprenaient bien mais qui me disaient : ce n'est pas possible d'annuler ta fête, nous en avons besoin – et toi aussi ! Pour affronter cette épreuve, pour montrer un autre visage de l'Église. Le pasteur qui vient rechercher sa brebis, il a pris pour moi le visage de vos messages, le visage de mes équipes de révision de vie entre prêtres et le visage des amis de l'équipe de préparation. Ces messages m'ont beaucoup touché, remis en cause, relevé !  Je suis passé de l'accablement à l'action de grâces, car j'ai compris que, pour les victimes comme pour notre Église, cette opération vérité était nécessaire et salutaire.

Alors, j'aime cette image de Jésus, le pasteur tout joyeux d'avoir retrouvé sa brebis, qui la porte sur ses épaules et qui rassemble ses amis, comme je le fais  ce soir, pour leur dire : « réjouissez-vous avec moi ! » J'aime cette image de Jésus parce que c'est un homme heureux, qui a des amis et qui veut faire la fête avec eux. J'aime cette image de Jésus parce qu'elle exprime son amour de pasteur, son « amour pastoral » : son amour va d'abord vers celui qui en a le plus besoin, le plus faible, le plus fragile, le plus souffrant – et ça nous arrive à chacun d'être le plus fragile, ça nous arrive à tous de « craquer ». Alors, il y a quelqu'un qui est toujours là et qui nous tend la main, quelqu'un qui nous appelle par notre nom, quelqu'un qui ne s'impose jamais mais qui croit en nous, quelqu'un qui nous aime et qui va nous porter sur ses épaules.

Comment ne pas évoquer cette autre parabole, qui n'est pas dans l'Évangile, la parabole des pas sur le sable : le poète revoit toute sa vie et interroge Jésus : je vois bien tes pas à côté des miens tout au long de ma vie, mais, comment se fait-il qu'aux moments les plus difficiles que j'ai traversés, il n'y a plus qu'une seule trace de pas ? Et Jésus de répondre : dans ces moments-là, c'est moi qui te portais. C'est ça l'amour pastoral de Jésus. C'est cet amour là qui a été « répandu dans nos cœurs par l'Esprit-Saint ». C'est cet amour-là qui est notre trésor, mais nous le portons dans des vases d'argile... « Ainsi, on voit bien que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous. » [Première lecture]

Je voudrais vous dire que tout ce que vous aimez dans le prêtre, le pasteur, que je suis, cela ne vient pas de moi, cela m'a été donné et j'ai à le rendre à Celui qui est le Père de tous les dons. C'est cela « rendre grâces ». Et c'est pour cela qu'il était important de jubiler aujourd'hui, pour rendre grâces et exprimer ma gratitude et ma reconnaissance, à Dieu et à vous tous.

Je voudrais d'abord rendre grâce à Dieu pour ma famille. J'ai beaucoup reçu d'elle. J'ai fait le choix d'assumer l'héritage, matériel et culturel, pour mieux pouvoir le partager avec ceux qui ont eu moins de chance que moi. Dans ma famille, il y en a qui partagent ma foi et il y a ceux qui sont agnostiques ou athées, à commencer par mes chers frères. Ils le savent parce que je leur ai dit : ils ont marqué ma manière d'être prêtre car je ne célèbre jamais des obsèques ou un mariage sans penser aux incroyants qui sont dans l'assistance. Et si j'ai un certain nombre d'amis agnostiques qui sont là ce soir, c'est beaucoup à eux que je le dois.

Je voudrais rendre grâce à Dieu pour les Mouvements qui m'ont formé avant et après mon ordination. Je dois beaucoup au Scoutisme, et je lui dois surtout ma vocation : j'y ai appris le sens du service et le goût des responsabilités, ainsi que l'amitié qui allait devenir le cœur de ma vie affective.  Je crois que j'ai aussi beaucoup reçu de la JEC pendant les deux ans vécus au quartier latin en pleine guerre d'Algérie : c'est là que j'ai appris l'engagement à la fois politique et apostolique. Mais c'est la JOC qui a marqué mes cinq premières années de ministère dans la cité d'Orly-Choisy et c'est elle qui a formé le prêtre que je suis devenu : j'y ai appris l'attention à la vie, aux conditions de vie concrètes des gens, j'y ai appris le service de l'entre-eux, j'y ai appris à accompagner sans diriger, à écouter avant de parler, j'y ai appris ce trésor qu'est la révision de vie, et que je pratique toujours. Enfin, j'ai beaucoup reçu de l'ACE, le mouvement des enfants, le premier où j'ai eu des responsabilités départementales et régionales. J'y ai appris que les enfants n'étaient pas trop petits pour vivre et annoncer l'Evangile, et qu'il fallait d'abord les écouter avant de les enseigner. Ce fut pour moi « l'école des guillemets », qui permet de noter ce qu'un enfant a dit entre guillemets, pour respecter sa parole et ses mots.

Je voudrais rendre grâce pour tout ce que j'ai reçu des femmes. Jusqu'à mon ordination, j'ai vécu dans un univers masculin. A la maison, nous étions cinq hommes avec ma mère... Au collège, que des gars. A la troupe scoute, que des gars... Et au séminaire, je ne vous dis pas... Par contre, dès qu'on est prêtre, on est entouré de femmes ! Je n'y étais pas préparé. Je voudrais rendre grâces pour toutes les femmes avec qui j'ai travaillé dans la mission parce qu'elles m'ont humanisé : elles m'ont appris à être plus attentif aux relations qu'à la réussite d'un projet, elles m'ont appris à être plus humain avec moi-même pour l'être davantage avec les autres, elles m'ont appris à ne pas brider ma sensibilité et à oser être affectueux et respectueux à la fois. Je leur dois beaucoup et j'aimerais tant que mon Eglise leur donne toute leur place !

Je voudrais rendre grâce pour tous mes amis, c'est-à-dire pour vous tous. Non seulement vous remercier mais remercier Dieu de m'avoir donné tant d'amis qui m'ont permis de vivre une vie affective heureuse. J'aime raconter ma première opération à l'hôpital : je partageais ma chambre avec un monsieur de mon âge ; tous les après-midis, sa femme venait lui tenir compagnie de 14 h à 18 h... et moi, pendant ce temps-là, les amis n'arrêtaient pas de défiler dans la chambre. Je savais qu'être prêtre, c'était une manière d'aimer. Mais j'ai découvert ces jours-là qu'être prêtre, c'était aussi une manière d'être aimé ! Et j'en rends grâces car nous avons tous besoin d'aimer et d'être aimé.

Je n'oublie pas que le « réjouissez-vous avec moi » de l'Évangile est lié à la conversion et je terminerai en vous partageant une conviction : l'Évangile est une bonne nouvelle qui nous appelle tous à changer. La vie de l'Eglise, la vie de notre pays et la vie de notre planète nous disent la même chose : si nous voulons nous en sortir, il faut changer ! L'Eglise doit changer, se réformer, pour mieux vivre l'Evangile en étant davantage une fraternité. Notre pays doit changer pour vivre un vrai partage des richesses. Notre planète enfin a besoin que nous changions et que nous nous laissions interpeler par les jeunes générations.

Il y a 50 ans, au moment de mon ordination, au lendemain de Vatican II et de Mai 68, je voulais aussi que tout change : l'Eglise, la société et le monde. Les défis ne sont plus les mêmes, mais l'appel au changement, retentit avec la même force. Et je rends grâces à Dieu de mettre en nos cœurs ce désir de changement pour que la vie soit plus belle pour tous. Voilà pourquoi, avec tous ceux d'entre vous qui le veulent, j'ai envie de reprendre le chant d'action de grâces de Marie, le Magnificat, car le Seigneur a fait pour nous des merveilles !

Jean-Pierre Roche, le 28 juin 2019.

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Commentaires
R
Merci Jean-Pierre : ça donne envie de continuer le chemin du sacerdoce avec un coeur habité par l'esprit d'Évangile, pour se laisser travailler par la vie où Dieu se dit. Ça donne envie de "relire" justement ces lieux où Dieu se dit ; dans nos mouvements, dans nos rencontres, à travers les hommes et femmes, les jeunes et les enfants ! Merci de m'interpeler à toujours redire "oui" avec Marie qui sait parler de Dieu dans son Magnificat... où elle révèle que Dieu se dit dans ma vie et m'invite à "relever avec humilité" avec Lui. Merci !
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